jeudi 29 août 2013

Saint-Chrysole de Comines, une splendeur mauresque


           L'Eglise Saint-Chrysole de Comines (1925-1929), dans le Nord.


                                                                   
           Façade ouest et campanile.



          L'Hôtel de Ville de style flamand et en arrière plan l'Eglise Saint-Chrysole.


           Vitrail moderne de l'Eglise Saint-Chrysole

 
Vue aérienne de l'église
 
 
La région du Nord qui avait connu une urbanisation accélérée durant le siècle précédent la Première Guerre Mondiale, devait, après la fin de celle-ci, continuer à être l'objet de mutations très importantes liées, d'une part, à la reconstruction des zones de front et, d'autre part, à la poursuite de l'élan urbain, au moins jusqu'en 1925. Ce processus fut accompagné par la construction ou reconstruction de nombreuses églises.  
C'est le cas de Saint-Chrysole de Comines, actuellement en rénovation. Ville frontalière de la Belgique, située au bord de la Lys, c'est anéantie que Comines devait retrouver la paix le 11 novembre 1918 ; le conseil municipal amené à repenser l'aménagement de la ville, comme le lui enjoignait la loi du 14 mars 1919, opta pour une reconstruction de la place dans "le style si pittoresque de la Renaissance Flamande dont le Nord de la France et la Belgique, notre voisine, offrent des exemples très remarquables" ainsi que le définissaient les architectes attachés à la commune.
Ce désir de mise en scène d'un décor architectural urbain se fondant sur une tradition plus mythique que réelle, les "modèles" venant plutôt des Pays-Bas, aurait dû prendre toute sa signification dans la construction des deux monuments qui devaient se faire face sur la place - l'hôtel de ville flanqué de son befroi et l'église. Or, si ce premier bâtiment, confié au célèbre Louis Cordonnier,  architecte lillois rompu à l'utilisation du vocabulaire régionaliste, devait s'inscrire dans l'optique du schèma d'embellissement communal, en revanche, le second allait être l'objet d'une polémique quant à sa convenance par rapport à ce plan.
En effet, le maire désigna pour la conception de l'église, Maurice Storez, architecte des Monuments Historiques de l'Eure, professeur d'architecture à l'Ecole des Roches et fondateur de l'Arche : groupe d'architectes, d'artistes et d'artisans catholiques rêvant d'un art réunifié sous l'égide du sacré. Paul Bellot, architecte bénédictin affilié à l'Arche collabora avec Storez. Il s'était déjà distingué par ses églises et monastères aux savants appareils de briques. Le projet initial ne prévoyait ainsi que l'usage de la brique, tant pour la structure que pour les parements extérieurs et intérieurs, mais les mauvaises qualités mécaniques du sol et les crédits insuffisants devaient conduire les maîtres d'oeuvre à concevoir une ossature de béton armé que l'on souhaitait apparente, où la brique et les moellons de béton n'auraient plus qu'un rôle de remplissage. La polychromie et les motifs géométriques complexes des matériaux de surface : briques teintées ou vernissées, carreaux de grès cérames des coupoles, palette grise des parpaings de béton, et l'attention donnée au traitement géométrique des motifs, révèlent l'influence du style Art Déco par-delà les sources d'inspiration  orientales que soulignent le plan basilical, la nef cubique et la coupole byzantine. Cependant, cette richesse décorative et cette originalité pittoresque ne seront souvent perçues, par contraste avec un environnement flamand, que comme étrangères ou, par contresens, mauresques.

mardi 20 août 2013

Saint-Christophe de Javel, une splendeur Art Déco

 
La nef vue vers l'entrée et les si curieuses rosaces.
 
 
L'entrée et le magnifique Saint-Christophe.
 
 
La nef vers le choeur.
 
 
Le campanile.
 
 
Située dans le XVème arrondissement de Paris, non loin du Pont Mirabeau, l'Eglise St-Christophe de Javel est une splendeur oubliée. Cet étonnant édifice date de 1926. C'est l'oeuvre de l'architecte Charles-Henri Besnard et des entrepreneurs Fourré et Rhodes. La construction, en tous points remarquable est en ciment moulé. Les travaux durèrent 4 ans et demi.
 
Entre les deux tours, la plus haute servant de campanile, se déploie une somptueuse dentelle ainsi qu'un fronton finement ouvragé. La partie à jour est constituée par de grands fenestrages en ciment faits de croix, de couronnes d'épines et de fleurs de lys. Chacun d'eux est surmonté des lettres A.R.T., initiales de la devise latine empruntée au Pater : "Adveniat Regnum Tuum" (Que ton règne arrive).
 
Au Moyen-Age, la pieuse confiance des fidèles envers St-Christophe était telle que l'on se croyait à l'abri de la mort subite le jour où l'on avait regardé avec foi la statue du saint géant. D'où la coutume alors très répandue de placer une statue colossale du saint à l'entrée des églises. La Cathédrale d'Amiens possède encore le sien en façade. Tous les autres ont disparu.
 
Celui qui orne la façade de Saint-Christophe de Javel est admirable. Il mesure 8,50 mètres de haut. C'est l'oeuvre de Pierre Vigoureux. Le saint est vêtu d'une courte tunique retenue à la ceinture par une corde. Ses muscles sont tendus, son buste se raidit et sa main droite s'appuie vigoureusement sur un palmier dépouillé de ses  palmes. Le gracieux personnage de l'Enfant Jésus domine l'ensemble.  Détail curieux : il ne porte pas en main le globe terrestre surmonté d'une croix, comme à l'accoutumé, mais tandis que sa main droite repose sur la tête de St-Christophe, il tient de la gauche le bord de son auréole qui fait ici double fonction.
 
Lorsque l'on pénètre dans la nef immense, l'impression est saisissante.  Ce sanctuaire, par sa grandeur, son élévation, la pureté de ses lignes, la régularité des proportions, la hardiesse de ses colonnes et la légéreté de ses arcs se rapproche de l'Art Gothique. Même si la facture en est toute moderne.
 
L'église mesure 41 m de long, 19 de large et 16,50 m sous clé de voûte. Elle compte six travées prolongées par un choeur magnifique, profond de 10 m dont le maître-autel et le pavage sont en marbre vert. L'entourage si élégant qui le sépare des chapelles et des sacristies voisines est la reproduction des grands fenestrages de la façade. La voûte est très richement décorée et  achève de donner au choeur un cachet symbolique et artistique. La voûte a été réalisée à fresque par  Henri-Marcel Magne et représente le double triomphe de St-Christophe : au ciel, parmi les anges qui exaltent son martyre et sur terre où il reçoit l'hommage des voyageurs. Le saint occupe la partie centrale de la composition. C'est un géant magnifique. La beauté de ses traits est particulièrement soignée. Il porte sur l'épaule l'Enfant Jésus, bénissant avec grâce. Il tient cette fois le globe terrestre surmonté de  la croix. Autour du personnage principal se déploie une double couronne de scène symboliques, en haut, huit anges richement vêtus portent divers objets relatifs à son martyre et en bas, les voyageurs figurant avec les principaux instruments de locomotion moderne offrent leurs hommages à leur saint-patron et protecteur. Toutes ces scènes, d'une grande originalité, se détachent sur un ciel d'azur parsemé d'innombrables étoiles d'or.  
 
La voûte de la nef est admirable avec sa décoration dûe à Magne également. Détail naïf et curieux, l'ange organiste touche un instrument minuscule dont il actionne la soufflerie de la main gauche, exactement comme celui de Fra Angelico dans son célèbre Couronnement de la Vierge.
 
L'église est éclairée par 12 grandes rosaces extrêmement originales qui l'inondent d'une agréable lumière d'or. Le médaillon central est orné de symboles emprunté à l'art religieux des Catacombes hautement symbolique. Parmi ceux-ci : le dauphin et le trident. En effet, à l'époque des Catacombes, on ne représentait le mystère de la Rédemption que sous des formes allégoriques, pour dépister les soupçons des païens persécuteurs et aussi éviter de scandaliser les néophytes par des représentations trops vives des souffrances du Christ. On employait ainsi l'image du dauphin sur le trident, le trident c'est la croix légèrement déformée et le poisson c'est bien sûr, le Christ.
 
J'espère vous avoir donné envie de visiter ce beau sanctuaire, témoin de son époque. Il recèle bien d'autres détails surprenants telles les colonnes avec leur base en  patte d'éléphant agrémentée de roses épanouies, avec leur fût cruciforme si délié, avec leur chapiteau aplati et délicatement orné. Les bas côtés de 5 m de large sont fort curieux également. Les six travées sont en effet éclairées par un lanterneau doublé d'un bel ajourage de ciment orné des initiales S.C. et de magnifiques vitraux bleus et violets. Le quartier abritait jadis les usines Citroën, ce qui explique la dédicace de l'église au saint-patron des voyageurs. Ainsi lors de votre visite, vous irez de découvertes en découvertes.