UNE HONTEUSE DESTRUCTION A ROCHEFORT
J'aime beaucoup me promener sur le Boulevard Pouzet dans ce quartier résidentiel de Rochefort. C'est un véritable condensé d'architectures typiques sur 100 ans. On y voit même une villa d'inspiration Pompeïenne. Je suis très attaché à ce boulevard, si près de chez moi, et qui m'avait tant rempli d'admiration lors de ma toute première visite à Rochefort.
La Maison Pigeon s'y trouve, au N°67. Son style balnéaire évoque irrésistiblement Royan. Elle est l'oeuvre de Louis Belasco, architecte qui s'illustra dans la célèbre recontruction de Royan. Rochefort est donc associé par cet hommage à l'histoire de l'architecture contemporaine. A la Maison Pigeon chaque détail compte, les ferronneries, les portes, la superbe mosaïque, le plan, reprennent le même motif trapézoïdal original et novateur. Nous sommes en 1958. L'escalier aérien et léger, le toit tel une voile sont d'un intérêt patrimonial qu'il faut sauvegarder. On peut la rapprocher de la Villa California, Boulevard de l'Océan à Royan ainsi que des maisons jumelles de la Rue du Docteur Emile Poche également à Royan. On ne peut s'empêcher d'évoquer la culture américaine et aussi Brasilia devant ces lignes épurées et ce toit à une pente très californien.
Ce patrimoine hors du commun est hélas voué à la destruction. C'est une honte pour Rochefort.
Mon ami François-Yves Leblanc, historien de l'architecture et du patrimoine, amoureux de Rochefort comme moi, a rédigé un historique passionnant sur la Maison Pigeon. Il fait également circuler une pétition. Je lui donne la parole avec plaisir : "Bélasco opta pour une architecture résolument audacieuse, compromis entre l'expérience libératoire royannaise, la culture marocaine et la marque de Le Corbusier qui, justement, venait d'achever en 1955, Notre-Dame du Haut à Ronchamp (Haute Saône) dessinée 5 années plus tôt. Extérieurement, c'est tout un vocabulaire d'une modernité bourgeoise qui est concentré avec une grande élégance et une remarquable maîtrise, tout concourt pour faire de la Maison Pigeon un modèle d'exception. Mais la plus grande surprise émane de la distribution intérieure, articulée de part et d'autre d'un vaste hall de réception baigné de la lumière généreusement donnée par un jour zénithal ménagé dans la terrasse. Il dessert les pièces de réception et de vie, elles-mêmes inondées de la lumière des vastes baies : il s'agit bien ici de la transposition littérale du vocabulaire royannais en cours d'élaboration".
Ce chef d'oeuvre de géométrie et d'élégance sera donc détruit. Le permis de démolir a été signé le 16 janvier 2007, celui de reconstruire le 13 février 2007. François-Yves Leblanc précise que : " le signataire des deux permis n'est autre que l'architecte de la ville, celui-là même qui, page 106 de la "Charte architectural de Rochefort" signalait la Maison Pigeon comme l'un des édifices les plus remarquables de la ville. Adhérente à la Charte Ville d'Art et d'Histoire, la ville bafoue aujourd'hui un pan de son patrimoine monumental contemporain qu'elle s'est pourtant engagée à protéger et valoriser".
L'absurdité, celle qui détruit les forces vives, empêche de voir, de comprendre, de réfléchir, en un mot de vivre, conduit au déclin et à l'ignorance. Hier, le Musée Hèbre de Saint-Clément pulvérisé de l'intérieur (plus de salons en enfilade, plus de boiseries), aujourd'hui la Maison Pigeon, encore visible mais pour combien de temps ? demain le Quai aux Vivres, l'Hôpital de la Marine, chefs d'oeuvre des XVII et XVIIIèmes siècles seront menacés.